J'avais envie de vous faire partager des extraits de l'interview de Jacques Donzelot, sociologue, du Monde de l'économie du 3 mai dernier.
"Avec la désindustrialisation, qui commence dès 1975, les immigrés, que l'on était allé chercher, ont été les premiers licenciés. Les logements construits pour permettre aux gens de travailler sont donc devenus des lieux où habitent... ceux qui ne travaillent plus. Les offices HLM ont eu toutefois le souci de préserver l'attractivité de la partie la plus intéressante de leur patrimoine - celle qui est proche des centres-villes - pour les classes moyennes, et donc d'en éloigner les immigrés. Cet effet de partage, purement gestionnaire, a provoqué la concentration de pauvres dans certains quartiers.
Très progressivement, de 1975 à nos jours, ces cités, que l'on nomme aujourd'hui " zones urbaines sensibles", sont devenues des lieux de relégation, un mot également utilisé dans les années 1960 après les émeutes des ghettos aux Etats-Unis. La continuité ascensionnelle entre les cités et l'environnement pavillonnaire a été remplacée par une logique de séparation, un confinement de la population immigrée affectée par le chômage et la précarité. Simultanément, est apparu un phénomène d'évitement de la part des populations des pavillons environnants, dressant une sorte de mur invisible entre elles et les habitants de ces cités. L'évitement des uns a conduit au repli de ceux qui se sentent rejetés et se sont approprié leur territoire, la seule chose qu'il leur reste.
Beaucoup de villes de banlieue sont sur ce modèle, mais pas toutes. Sarcelles se compose de Sarcelles-village, qui est très coquette, et de Sarcelles-ville, avec la Cité des 4 000, dont les habitants ne rêvent que d'habiter à Sarcelles-village. Ils y parviennent en partie, la mairie les aidant à réaliser cet objectif, basé sur un sentiment d'appartenance commune. Dans les Yvelines, Mantes-la-ville en revanche est organisée contre Mantes-la-Jolie, en particulier contre la cité du Val-Fourré et ses habitants, pour s'en protéger."
"Au niveau local comme national, la concentration des minorités dites visibles n'était pas trop problématique tant que la distance entre les quartiers et le reste de la ville permettait de les rendre relativement invisibles. Une certaine paix sociale était obtenue au travers de la politique de la ville, qui consistait, pour l'essentiel, à rendre ce confinement moins désagréable grâce à la réhabilitation du bâti et à l'attribution de subventions aux associations pour mettre en oeuvre les priorités affichées par les pouvoirs publics. Nous sommes là dans un mode de gestion de la mise à l'écart. La religion, avec le succès rapide des associations islamiques, s'est posée en réponse à l'humiliation sensible à chaque friction avec les représentants de l'autorité : la police, quand elle pénétrait dans les quartiers, ou quand les habitants voulaient en sortir."
"Pour réussir à la surmonter, il faut abaisser la barrière, visible et invisible. La barrière visible, c'est le bâti. L'invisible, c'est tout ce qui diminue les chances des habitants de se doter d'un horizon de sortie positive de ces quartiers. Je dis " positive" car il est possible que l'on organise actuellement une sortie négative, avec la démolition de grands ensembles. Ce n'est pas délibéré, mais beaucoup de maires, y compris dans les Yvelines, souhaitent se débarrasser de la population des cités, qui fait peur et fait fuir leurs bons électeurs."
"Les plans de reconstruction ne sont pas présentés d'emblée aux habitants. Pour démolir, on commence par évacuer les logements, deux propositions de relogement devant être présentées aux habitants. Mais la pression psychologique est telle lorsque l'on vit dans un immeuble destiné à être détruit que beaucoup cherchent à partir d'eux-mêmes. D'autres vont dans les logements proposés et certains refusent de partir. Ces démolitions provoquent donc des sorties négatives, vécues par les intéressés comme une manière de les rendre invisibles et de désintégrer la cité. L'exemple le plus flagrant dans les Yvelines est celui de la cité de la Coudraie, à Poissy. Il y a un an, les habitants ont appris par un communiqué qu'une opération de démolition-reconstruction allait être engagée dans leur quartier. Au cours d'une réunion avec les autorités, ils ont voulu connaître les détails du projet, savoir s'ils allaient pouvoir revenir dans leur quartier, mais ils n'ont pas eu de réponse. Et pour cause : ce qu'on veut construire à la place ne leur sera pas interdit, mais sera au-dessus de leurs moyens, comme dans la plupart des cas. Les habitants de la Coudraie ont protesté et bloqué la démolition. Dans les opérations validées par l'Agence nationale de rénovation urbaine, les chefs de projet ressentent de plus en plus un malaise de la population."
"Aux Etats-Unis, à l'époque du président Jimmy Carter, la solution trouvée a été appelée " people place based strategy" - stratégie pour aider les gens dans les lieux où ils sont. En clair, si des associations sont créées dans lesquelles au moins 50 % du conseil d'administration est composé d'habitants, celles-ci pourront avoir les prérogatives d'un promoteur, l'espoir étant que ce travail de recomposition physique du quartier puisse être aussi l'occasion d'une recomposition morale des habitants. C'est un principe de base américain : quand tout a échoué, il reste encore une solution : les gens.
En France, quand rien n'a marché, on fait appel à un ingénieur pour démolir et reconstruire autre chose. Je pense qu'il faut sérieusement faire des habitants une force de proposition, un contre-pouvoir dont le maire, qui veut lancer une opération, devra tenir compte s'il ne veut pas que cette dernière se termine en émeute. Il faut les associer dans la transformation de leur quartier afin qu'ils y puisent la force d'en sortir, et faciliter leur mobilité. Aux Etats-Unis, on appelle cela " l'empowerment", l'élévation de la capacité d'avoir du pouvoir. Les Pays-Bas ont également choisi cette voie. Pourquoi pas la France ?"
Jérôme Charré
2 Réponses à “Faire des habitants une force de propositions !”
fo arrêter de raconter n’importe quoi sous pretexte qu’on est sociologue, la moindre des choses serait de vérifier ses infos.Donc à Sarcelles il n’y a pas de cité des 4000 (c’est à la courneuve…mais pour lui sarcelles ou la courneuve ça doit pas faire de différence) et sarcelles village n’est pas un quartier « coquet » comme il le dit lui même, c juste mieux que du coté de la ville nouvelle mais de là à faire croire que c’est neuilly…
Merci de ces précisions. Le sociologue n’est pas exempt d’erreurs, mais son idée de faire de tous les habitants des quartiers des partenaires de ces projets urbains me semble essentiel pour leur réussite.