Nous avons démarré cette série depuis que le responsable de notre blog voisin, autorise la publication d'un tombereau de fausses informations médicales. Nous pensons que cette attitude motivée par la course au clic, peut avoir des conséquences graves sur la santé des gens. C'est pourquoi nous tentons de donner des armes pour que chacun puisse essayer de détecter ce genre de discours conspirationnistes potentiellement dangereux.
Retrouvez les précédents articles de cette série ici :
- Exerçons-nous à l’esprit critique, partie 1 : « penser par soi-même, c’est penser contre soi-même »
- Exerçons-nous à l’esprit critique, partie 2 : vaccin, santé, climat… comment estimer la crédibilité d’une information scientifique ?
- Exerçons-nous à l’esprit critique, partie 3 : apprenons à détecter un graphique manipulé
Dans cet article nous allons vous donner des critères de détection d'un discours typique d'un soutien de théories sans fondements.
Indice 1 : un rédacteur avec la fausse sensation d'être compétent ("L'ultracrépidarianisme")
Ce phénomène, qui consiste à surévaluer ses compétence quand on ne connaît presque rien à un domaine, touche tout le monde. Mais faut-il encore en être un peu conscient. "L'ultracrépidarianisme" est très présent chez ceux qui prétendent "porter la vérité" comme les conspirationnistes. Ainsi vous les verrez parler avec assurance de choses qu'ils ne connaissent pas ou très peu. A contrario, un grand savant, pourra mettre en avant ses doutes et ses prudences. S'il ne le fait pas, soyez méfiants.
Les indices dans le discours:
- Un manque flagrant de prudence et de modestie
- Prétendre détenir la vérité
- "on nous cache la vérité"
- "Je ne suis pas médecin mais..."
- "j'ai fait des recherches"
- "Nos informations sont délibérément objectives, libres et sans concession"
Indice 2 : un rédacteur qui s'en remet sans recul à un "expert" ("l'ipsedixitisme")
"Dès lors que le maître lui-même l’a dit (ipse dixit), alors on ne discute pas"
Cette attitude consiste à vouloir échapper à toute contradiction en mettant en avant un interlocuteur en qui l'on a confiance. En effet, on trouvera toujours sur internet un expert avec un beau CV qui soutiendra votre thèse.
Cet argument d'autorité s'appuie sur le "mythe du sauveur" qui veut faire croire que la science et l'histoire sont d'abord le fait de glorieux individus. Cette réalité est souvent démentie par les recherches historiques qui nous apprennent que les grandes révolutions sont le plus souvent issues de mouvements de fonds. Rappelons-nous aussi que les personnes extraordinaires ne le restent pas forcément toute leur vie (voir l' exemple de "la maladie du Nobel").
Ainsi, les conspirationnistes brandissent souvent un supposé expert qui appuie son discours, en oubliant tous les détails qui viendraient fragiliser leur vision du monde. Ce travers est en réalité un manque d'esprit critique car il pousse certains crédules à croire sans recul ce qui est dit par une personne présentée comme experte.
Les indices dans le discours:
- Croire que la science ou l'histoire est faite de proclamation de certains individus et non du travail d'une communauté.
- "Ce très grand savant a dit que..."
- "Qui êtes-vous pour oser contredire cet expert?"
Indice 3 : nier la sincérité du contradicteur, "Vous êtes vendus"
Lorsqu'un croyant d'une théorie ne veut pas voir sa vision du monde s'effondrer, il passe nécessairement par cette étape. Ce comportement consiste à refuser de parler du fond pour tenter de discréditer celui qui le contredit. Cette forme d'attaque personnelle, va jusqu'à inventer des conflits d'intérêts. Les formes les plus délirantes brandissent des conspirations impliquant des millions d'humains qui seraient "vendus" à BigPharma, à Bill Gates, aux Illuminati, ou d'autres forces occultes.
Ces "conflits d'intérêts" existent pourtant bel et bien et des complots réels ont été avérés au travers de l'histoire. Cependant affirmer que des millions de scientifiques de tout pays, de toutes organisations, de tout niveaux seraient tous vendus et organiseraient ainsi un immense mensonge cohérent n'est pas réaliste.
Les indices dans le discours:
- Discréditer les contradicteurs sans répondre au fond de leur critique
- "Il est payé par..."
- "Qui?"
- "Macroniste!"
- "C'est un pédo-sataniste"
NB: Ce paragraphe a été sponsorisé par Microsoft, un laboratoire pharmaceutique, LREM, et nos amis illuminati-Francs-Maçons.
Indice n°4 : l'enfermement dans sa bulle d'information
Un conspirationniste est avant tout nourri par une communauté qui tourne en boucle. Nous sommes tous concernés car les algorithmes des réseaux sociaux accentuent cet isolement dans une "bulle informationnelle" en nous proposant des articles qui vont d'abord dans le sens de ce que nous voulons voir. Nous sommes tous soumis à cet enfermement intellectuel contre lequel il faut lutter en écoutant régulièrement des contradicteurs de notre vision du monde.
Une façon de détecter un fort isolement chez un croyant d'une théorie douteuse est d'examiner ses sources. On s’aperçoit qu'il met plutôt en avant des articles issus de journaux sans aucun journalistes (ex: France-Soir), de réseaux sociaux, ou de blog issus de la complosphère ou fachosphère, ces deux dernières étant très liées. Les journalistes sont souvent tous mis dans le même panier.
Les indices dans le discours :
- Préférer les témoignages et les anecdotes personnelles aux études statistiques
- "Ce qui est écrit sur Wikipédia n'est pas fiable."
- "De nombreux témoignages sur Facebook l'ont dit!"
- "Ce média est payé par le gouvernement"
- "Les journalistes ne font plus leur travail d’information pour laisser place à la propagande du gouvernement"
- "Il ne fait que raconter la version officielle"
- "Éteignez vos télés!"
Indice n°5 : la prétention d'être supérieur, voire "éveillé"
Ceux qui tentent de faire du prosélytisme usent souvent de cette astuce pour valoriser les personnes qui croient à leur théorie. Ainsi les tenants d'une théorie, aussi loufoque soit-elle, vont se qualifier d'éveillé, d'avant garde qui s'écarte du troupeau et qui permet de se sentir supérieur. Le corollaire est de clamer être un martyr, censuré par le pouvoir.
Les membres de ce genre de cercles éprouvent aussi du plaisir de disposer d’informations réservées à un petit nombre et de faire partie d'un groupe d'initiés.
Les indices dans le discours :
- "Espèce de mouton!"
- "Beaucoup de gens ne sont pas capables de comprendre que la thèse officielle est fabriquée"
Indice n°6 : "Comme par hasard", "À qui profite le crime?"
Il s'agit ici d'interroger constamment sur la responsabilité d'un évènement. Le but n'est pas de donner une explication directe mais de suggérer un doute. Cette manière de distiller des accusations sans forcément les expliciter permet de se dédouaner de toute incohérence dans sa thèse ou ses sources. Bien qu'il soit intéressant de poser la question "à qui profite le crime?" pour mieux comprendre certaines situations, il faut étayer solidement ses conclusions et ne pas s'en remettre seulement à des "détails troublants" ou des ressemblances dans des phénomènes dont le lien n'est pas prouvé (voir notre article sur l'illusion de corrélation).
Les indices dans le discours :
- "Si l'on avait voulu faire croire cela, on ne s'y serait pas pris autrement"
- "Une simple coïncidence?"
- "Faites vos conclusions vous-mêmes."
- "Je ne fais que poser des questions."
- "Voici un indice troublant"
- "Il y a 72 anomalies de l’affaire Mohamed Merah"
Nota bene : Nous donnons ici indices qui vous permettrons de repérer dans le discours les accents conspirationnistes. Attention, des indices ne sont pas des preuves. Dans certains contextes certaines phrases ont du sens. Ce qu'il faut repérer ici est leur utilisation abusive.
Voici un podcast de l'Express du 2 septembre dernier qui récapitule certains de ces critères: