Education

Bruno Garnier sur l’éducation prioritaire: « La singularité de l’élève
 au centre de l’école »

9 décembre, 2014 à 7:20 | Posté par

L'Humanité a publié le 4 décembre 2014, trois tribunes libres sur la réforme de l'éducation prioritaire.

La nouvelle carte de répartition des 1 082 réseaux d’éducation prioritaire mobilise contre elle les exclus des réseaux, sortis du dispositif ou ceux qui n’entrent pas dans les critères du ministère 
de l’Éducation nationale. Les enseignants et parents d’élèves dénoncent la logique strictement administrative et comptable du choix des réseaux déconnectés 
des besoins réels.
"La singularité de l’élève
 au centre de l’école"
par Bruno Garnier, professeur 
de sciences 
de l’éducation université 
de Corse Pasquale-Paoli
La mise en place des zones d’éducation prioritaire (ZEP) en 1982 correspondait à l’objectif d’égalité des chances pour les enfants de tous les milieux. Il s’agissait de donner plus de moyens aux établissements dont la population scolaire était moins favorisée d’où le nom de « politiques compensatoires », à rapprocher des « affirmative actions » des pays anglo-saxons. Une trentaine d’années plus tard, on assiste aux effets redoutables de la géographie scolaire prioritaire. Ainsi, en 2012, en réseau Éclair, 73 % des élèves avaient des parents ouvriers ou inactifs (35 % hors prioritaire) et 22 % des élèves étaient en retard à l’entrée en sixième, soit le double du taux moyen hors prioritaire. Les réseaux de réussite scolaire (RRS) scolarisent environ 12 % des écoliers : 57 % des élèves sont issus de familles défavorisées et 18 % sont en retard à l’entrée en sixième. Ces chiffres font peser sur toutes les formes de zonage de l’éducation prioritaire le soupçon de la stigmatisation. L’objectif de la compensation des difficultés sociales a abouti au résultat inverse : faire partir les familles moins défavorisées, concentrer les difficultés dans les mêmes lieux, aller à rebours de la mixité sociale. L’éducation prioritaire tend à devenir un alibi pour confiner la pauvreté, la précarité, l’immigration, et souvent l’insécurité loin des quartiers favorisés et des établissements scolaires d’excellence, avec le concours intéressé de certains élus et promoteurs immobiliers.
Or en voulant « compenser » le « handicap » des enfants résidant dans ces zones, on met en œuvre, sans même le vouloir, une pédagogie aux objectifs limités, étriqués. Sans doute est-ce la raison pour laquelle les enfants de milieux défavorisés connaissant des difficultés scolaires s’en sortent mieux dans des établissements ordinaires que dans des établissements de l’éducation prioritaire. L’effet pervers du zonage, lorsqu’il est durable, est d’aggraver les fractures sociales en fractures scolaires. Et les élèves les moins ­défavorisés ne sont pas seuls à quitter les réseaux prioritaires : une autre problématique de l’éducation prioritaire est la fuite, chaque année, de 60 % des enseignants les plus expérimentés des établissements difficiles, par les mutations à l’ancienneté. Mieux vaudrait ­s’atteler sérieusement à construire partout « l’école du socle », qui consacrerait pour tous les enfants une pédagogie attentive aux besoins de chacun, indispensable à l’acquisition des connaissances et des ­compétences nécessaires à l’épanouissement de la personne et à la réussite de ses projets d’insertion sociale et professionnelle. En somme, il n’y aurait plus de zones prioritaires (quelque nom qu’on leur donne) mais, partout, une priorité et des moyens appropriés aux difficultés rencontrées : la réussite par l’individualisation de l’action pédagogique, ou, comme disent les chercheurs québécois, la persévérance scolaire dans une école bienveillante et apte à diversifier ses méthodes.
Mais peut-on sortir de la labellisation et du découpage territorial ? Jean-Paul Delahaye avait prévenu l’année dernière : « Le plus délicat sera de gérer les sorties progressives de l’éducation prioritaire. » Délicat, car il y a des conséquences pour les collectivités territoriales et les politiques de la ville. Délicat aussi, parce que les professeurs des zones prioritaires reçoivent une prime annuelle de 1 200 euros. C’est pour eux une reconnaissance de la difficulté du métier et un acquis social. Peut-être faudrait-il commencer par chercher d’autres moyens de récompenser la persévérance enseignante ?

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