« Nahel, cela aurait pu être moi, mon frère, mon fils »
Les mots ne suffisent plus pour décrire la peine qui nous affecte tous. Les images choquantes, révoltantes, inacceptables, d’un tir à bout portant sur le jeune Nahel, sont un énième rappel de ce que subissent les jeunes de nos quartiers depuis bien trop longtemps. Des mots entendus, répétés, de vive voix ou en son for intérieur depuis plusieurs jours : cela aurait pu être moi, mon frère, mon fils. Autant l’exprimer directement : l’explosion de colère était prévisible. Et tout retour au calme ne peut signifier retour au silence et à l’inaction concernant tout ce qui ne va pas dans notre pays.
Pour la mère que je suis comme pour de nombreuses autres, issues des quartiers populaires et racisées, il y a des recommandations spécifiques qui font partie de l’éducation prodiguée à nos fils : « ne te mets pas en danger, n’aie jamais à faire aux policiers, regarde le sol et ne répond pas mal s’ils te parlent mal ». Cette vérité crue, c’est celle de parents et de jeunes qui savent que les « bavures policières » frappent souvent les mêmes.
Une colère incontrôlable qui pénalise les habitants déjà en difficulté
Au deuil de la famille de Nahel partagé par une foule d’anonymes s’est mêlée une colère crue qui s’exprime depuis plusieurs jours à Aulnay, à Bondy et aux Pavillons, comme dans tout notre pays. Une colère mal dirigée, à laquelle certains participent par suivisme, par ennui, par profit, mais une colère certaine qu’on ne peut pas analyser à la légère. Depuis jeudi j’échange avec des parents, des jeunes, des travailleurs sociaux, des responsables associatifs, des agents municipaux, des commerçants, les maires de la circonscription et d’ailleurs. Tous sont meurtris par le spectacle « snapé » de nos quartiers qui brûlent, par la perte de commerces, de centres culturels, d’institutions vitales pour les habitants. Je le dis d’emblée pour prévenir tout mauvais procès : dire que tout cela était prévisible et explicable n’est pas justifié.
Quelle personne sincèrement attachée à sa ville et à son cadre de vie pourrait se réjouir de la situation ? Qui n’est pas ébranlé par ces destructions dont les habitantes et habitants de nos quartiers sont les premières victimes – équipements publics, véhicules, commerces ? Quelle mère de famille n’est pas abasourdie par la jeunesse de celles et ceux qui cassent et pillent ? Qui ne redoute pas les conséquences dramatiques que les événements d’aujourd’hui auront pour la vie et l’avenir de ces jeunes ? Car la couleur a déjà été annoncée par le ministre de la Justice : la justice sera expéditive et sévère, une justice de classe. Elle brisera des vies. Comme si les parcours de nos enfants n’étaient pas déjà semés d’embuches…
J’insiste, car l’exaspération face aux dégâts est légitime : le peu que nous avons est détruit, les déplacements sont contraints, faire les courses devient une mission. Une colère en provoque une autre. Le risque qu’il survienne d’autres drames est certain. Le sentiment que toute cette violence est contreproductive est logique. Je le partage.
La somme d’années d’injustice sociale, de stigmatisation et de racisme
Nous souhaitons toutes et tous une vie calme et paisible, mais surtout, on alerte calmement et fermement de longue date sur le volcan qui couve. Car si nos quartiers sont saccagés physiquement aujourd’hui, cela fait des années qu’ils sont saccagés politiquement. La mort de Nahel est la mort de trop, qui fait à nouveau déborder le vase.
Les dégradations de ces derniers jours vont amplifier des difficultés qui existaient depuis des années : les écoles étaient déjà dégradées, faute d’investissements, l’inflation empêchait déjà de se rendre au supermarché, le distributeur de billets La Poste pour 25 000 personnes aux 3 000 était déjà inadapté… Le chômage et la précarité restent prégnants. Les services publics insuffisants. Et puis on peut se le dire : chacun sait que la vision de personnes se servant dans les commerces alimentaires saccagés ne relève pas seulement de la délinquance et de la déviance. Lors des émeutes de 2005, ce phénomène n’existait pas.
Cette colère traduit des années de stigmatisation, d’injustices sociales, de racisme qui frappent jeunes et moins jeunes. Cette colère reflète également la destruction progressive et méthodique de tous les contre-pouvoirs pacifiques : manifestations ignorées, syndicats muselés, droits de l’opposition bafoués, pétitions balayées, des élus locaux qu’on n’écoute plus et qui manquent de moyens …
Un pouvoir qui se dédouane de toute responsabilité
À la stupeur et à la désolation qui nous habitent face aux images de chaos répond la stupeur face à la nullité et au mépris politique de Macron et son gouvernement. Car que font-ils ? Ils se dédouanent de toute responsabilité et n’esquissent même pas le début d’une réponse politique à la hauteur du moment.
Après quelques timides mots d’apaisement, le président Macron s’est engagé dans une surenchère sécuritaire folle et dangereuse. Est-il raisonnable d’en appeler à l’armée et à des forces anti-terroristes, qui ne sont pas formées à des opérations de maintien de l’ordre, au risque de provoquer des drames ? Est-il crédible que le ministre de la Justice, mis en examen, père d’un mis en examen, désigne des parents et menace de les sanctionner ?
Au-delà de la réponse sécuritaire, Macron pointe donc les parents et des jeux vidéo qui seraient les seuls responsables des scènes violentes de ces derniers jours. Il met de côté les causes profondes de ce chaos, et dresse le portrait de classes dangereuses qui mériteraient leur sort. Il justifie notre maltraitance sociale et notre stigmatisation collective.
Il ne faut pas céder à cette facilité qui consisterait à accuser les uns ou les autres, à trier entre les « bons » et les « mauvais » jeunes, les parents « vertueux » ou « défaillants ». D’abord parce que matins, midis et soirs les tenants d’une idéologie raciste et réactionnaire nous dépeignent déjà en barbares. Ensuite parce chacun à Aulnay, à Bondy ou aux Pavillons sait ce qu’élever un enfant dans nos villes implique. Quand on manque d’enseignants, de psychologues scolaires, d’AESH, quand l’accès aux loisirs et à la culture est un combat quotidien, quand les fins de mois sont difficiles – et même si on travaille, quand les logements sont suroccupés, quand les services publics disparaissent ou fonctionnent par intermittence, quand l’aide sociale à l’enfance est démunie, quand le mirage de l’argent facile des trafics est présent, et j’en passe, est-il juste de pointer du doigt ?
La réponse doit être politique
Même lorsque les gilets jaunes s’étaient mobilisés dans des actes violents, le gouvernement avait reconnu que la solution ne pouvait pas être uniquement sécuritaire. Il avait ainsi cédé à certaines demandes et avait accepté d’amorcer un dialogue. Pourquoi la banlieue n’a-t-elle pas le droit aux mêmes égards ? Toute explosion de violence est le symptôme d’une société en décomposition : casser le thermomètre avec une seule réponse sécuritaire ne fera pas baisser la fièvre.
On ne résoudra rien sans réponse politique. En quelles règles régissant notre vie en société peuvent encore croire nos enfants si des policiers peuvent tuer en toute impunité, si la galère et les humiliations frappent toujours les mêmes ? Quel « grand frère » sera en mesure d’aller raisonner ceux qui brûlent des poubelles et vandalisent ce qui les entoure sans discernement ?
Aujourd’hui, il faut agir, et vite. Des actes et des annonces fortes doivent suivre la mise en détention provisoire du policier incriminé. D’abord, il faut abroger les dispositions « permis de tuer » de la loi Cazeneuve, et assumer clairement la nécessité de réformer la police de la cave au grenier. Ensuite, il faut des investissements massifs pour ramener la justice sociale là où elle n’est qu’un concept sans réalité. Nous avons besoin d’un plan « JUSTICE PARTOUT ».
En tant que députée, en tant que mère de famille, je veux pouvoir expliquer à nos enfants qu’un autre monde est possible. Seule une réponse à la hauteur des principes de notre République permettra de sortir de cette crise.
Liberté, égalité, fraternité. Respect, solidarité et dignité.