Après le succès spectaculaire de Bondy Blog, créé au moment des émeutes urbaines et aujourd'hui allié à Yahoo, d'autres habitants des cités s'emparent d'Internet pour raconter leur quotidien et révéler une image constructive.
Sur la toile, ces blogueurs-là de la « téci » (NDLR : « cité » en verlan) ne règlent pas leurs comptes avec la bande rivale de la dalle d'en face à coups de slogans assassins. Ils ne mettent pas en ligne des vidéos de combats de pitbulls ou des clichés de la voiture de police qui flambe au pied des tours. Sans haine ni violence, des jeunes - et moins jeunes - des quartiers et des villes réputées difficiles utilisent désormais les nouvelles technologies pour évoquer simplement leurs passions - le rap, le PSG, le « bled », les potes, les « meufs » (NDLR : les filles) ... -, rendre hommage, en images, à leurs parents qui se lèvent à 5 heures du matin pour nourrir la famille, décrire leur quartier tel qu'il est, c'est-à-dire souvent ultrabétonné. Mais aussi, pour les plus engagés, faire entendre leurs revendications, partager leurs espoirs et leur désespoir. Sur leurs blogs, ces journaux personnalisés sur Internet où le lecteur est invité à répondre par le biais de commentaires, ils racontent la vie au coeur de la cité. Avec ou sans verlan, en ayant ou non recours au langage SMS, avec de simples photos légendées ou des argumentaires sans fin, ils poussent un cri de révolte quand ils sont victimes de discrimination ou un cri de joie quand ils ont brillamment passé le barrage de l'entretien d'embauche. Ces banlieusards connectés n'ont pas forcément une casquette, un survêt' et un sweat-shirt griffé « Produit de banlieue ». Ils portent parfois le costume-cravate ou l'écharpe d'élu de la République. Ce sont des porte-parole de la périphérie, déterminés à en changer la réputation parce que, comme le rappelle l'un d'eux sur le Net, « il y a trop de préjugés sur les frères du ghetto ». « La banlieue a un déficit d'image de marque. L'intérêt de ces blogs, véritables vitrines, c'est de donner une autre impression de la banlieue », pense David Fayon, expert en nouvelles technologies*.
« Entre copains des cités, on est passé du " tu m'as vu à la télé ? " au " tu m'as vu sur Internet ? " »
C'est la mission de Jérôme, 23 ans, étudiant domicilié à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et fer de lance du blog MonAulnay.com, qui reçoit, quotidiennement, la visite de 400 à 600 internautes. « Moi, je veux casser les clichés. En banlieue, il faut savoir que la plupart des jeunes ne sont pas prêts à vous trancher la gorge. Ils ont une vie comme tout le monde et essaient de s'en sortir », martèle-t-il. Tous les blogs n'ont pas la notoriété et l'impertinence du Bondy Blog (lire ci-dessous) , alimenté, pour l'essentiel, par des jeunes de Seine-Saint-Denis. Les sites « made in banlieue », qui font preuve d'une véritable conscience politique restent encore rares dans ce que l'on appelle la « blogosphère » abritant dans l'Hexagone environ 7 millions de pages « perso ». Généralement, les blogueurs de la banlieue ne parlent que d'eux-mêmes, de leur quotidien pas toujours rose et expriment leur colère de façon abrupte. « Le blog développe l'ego chez des gens qui n'ont pas forcément de reconnaissance et se sentent exclus de la société. Cela leur donne l'impression d'exister. C'est aussi le moyen d'être célèbre. Entre copains des cités, on est passé du tu m'as vu à la télé ? au tu m'as vu sur Internet ? », analyse David Fayon. Pour autant, des contraintes à la fois techniques et sociologiques, inhérentes à ces territoires à l'écart, empêchent, pour l'instant en tout cas, un boom des blogs estampillés « banlieue ». « L'outil privilégié par les jeunes banlieusards pour communiquer reste le téléphone portable et le SMS et les premiers achats dans les cités sont la télévision par satellite et la console vidéo, pas l'ordinateur », souligne Gilles Klein, rédacteur en chef d'un site consacré aux blogs (www.pointblog.com). La loi du silence qui prévaut souvent dans les cités sensibles freine aussi ceux qui ont des choses à dire. « Le fait de parler des autres peut entraîner des embrouilles », rappelle Gilles Klein. Passés ces obstacles, l'autre voix de la banlieue a de bonnes chances de faire beaucoup parler d'elle ces prochaines années. « L'avenir du blog, pronostique Gilles Klein, c'est celui qui est local, qui parle d'une petite communauté, d'un village, d'un quartier. »
* Auteur de « Clés pour Internet », chez Economica.
Vincent Mongaillard, mardi 14 novembre 2006
Gilles Klein de Pointblog traite également de ce dossier.